C’ÉTAIT HIER, C’ÉTAIT IL Y A 10 ANS…

En octobre 2005, on signait l’achat d’une maison. Une vraie, à nous avec un grand terrain, des arbres et on y débarquait en force.

« On » c’était une petite clique d’amis, originaires de Suisse, établis à Toronto depuis quelques années pour certains et quelques semaines pour d’autres. Ça faisait quelques mois que nous partagions un appart et on se disait que ce serait vraiment cool de trouver une maison.

Ça s’est passé très vite en fait. Un matin de septembre 2005, je reçois au boulot l’appel de Nico, l’un d’entre nous. Son statut d’entrepreneur en charpente et menuiserie lui avait ouvert pas mal de portes dans le milieu de la construction et de l’immobilier et il venait de dénicher l’oiseau rare.

« Écoute, si tu es toujours intéressée à mettre des billes dans l’achat d’une maison, on a la possibilité de le faire là, maintenant, tout de suite, illico on a quelques minutes pour se décider avant que d’autres nous passent devant. Si tu me fais confiance, je lance la procédure dans l’heure qui suit. La maison est située à l’est de la ville, près du lac, et je sens que le coin va prendre de la valeur dans les années à venir ».

J’ai confiance, je connais super bien le gars, à la longue il est devenu un peu un frangin pour moi.

Je réponds simplement : « okay, fais péter ! »

Je raccroche, un peu sonnée ! Bordel, on vient d’acheter une maison ! Je viens de m’engager à lâcher mes économies, comme ça, sur parole, sans même l’avoir vue.

Je nous revois encore comme si c’était hier, le lendemain après le boulot, tous les quatre dans la bagnole, en fait non, tous les cinq car mon Labrador faisait intégralement partie de notre petite clique, une bouteille de rouge et des gobelets en plastique dans le coffre, en route pour aller « baptiser » et « boire l’apéro » dans notre nouveau royaume.

Il fait déjà un peu sombre quand nous arrivons, je ne vois pas très bien tous les détails du coin, mais suffisamment pour constater qu’il y a des arbres, de l’espace, de la verdure dans ce petit quartier.

En particulier « chez nous ». Quand je vois la taille du terrain disponible, je sais tout de suite que mon Labrador va s’éclater !

La maison date des années 50, elle a été vidée, il y a une cheminée que les précédents proprios n’ont probablement jamais utilisée, un long couloir, et des pièces minuscules. Le sous-sol est habitable, même si tout ça commence à s’écailler un peu. La bâtisse est vieille mais elle me plaît bien.

On se croirait un peu dans une maison style « inspecteur Derrick », tu sais, avec des moquettes beige-orange et des couleurs rétro-glauque, rétro-Derrick quoi !… Si t’as vu des épisodes de « Derrick » (et je suis sûre que c’est le cas), ça te donne une idée du look. Ça me fait marrer.

Les trois gars avec moi, travaillent dans le domaine de la construction et sont déjà en train de déboucher la bouteille pour faire « santé ».

On est tous un peu euphoriques. Je me promène dans nos nouveaux murs, je fais le tour du propriétaire, excitée, souriante, le cœur battant.

J’entends d’une oreille distraite les mecs qui parlent de « transformations », « de la rendre plus habitable », de « péter des murs ». Moi, je les laisse faire, c’est leur domaine, ils connaissent leur job.

J’ai toujours beaucoup fonctionné à la confiance et je dois dire que sur ce coup-là, une fois de plus, je ne l’ai pas regretté.

La semaine suivante, ils attaquaient, détruisaient des murs, agrandissaient les pièces, arrachaient la vieille moquette Derrick, organisaient le sous-sol, refaisaient le plancher.

Betty, la copine de Nico et moi, on virait les déchets dans une grosse benne. Ça a bien bardé pendant deux semaines.

On allait tous à nos boulots respectifs pendant la journée et le soir, jusqu’à tard dans la nuit, on allait bosser à la maison.

On a repeint les murs, mastiqué, isolé, calfeutré, cloué, vissé, plein d’amis sont venus nous aider et vers la 2ème moitié d’octobre, on emménageait. Non pas que tout était terminé (une maison, c’est jamais complètement terminé) mais c’était complètement habitable.

J’ai choisi une petite chambre, près de l’entrée. Elle me plaisait bien, le plafond était assez haut, j’ai pu installer une sorte de mezzanine.

Nico, a pris une grande chambre, dans le fond de la maison car il y emménageait avec son amoureuse et les deux autres gars, Dragan et Stef se sont chacun fait une chambre au sous-sol.

En Suisse, le sous-sol est souvent réservé à la cave, buanderie, etc… mais au Canada, c’est en général considéré et utilisé comme un espace habitable.

Mes parents ont débarqué quelques jours après, j’avais bloqué une semaine de vacances. On était encore au milieu des cartons et du bordel.

Mon papa qui adore jardiner est allé acheter des outils et a retapé tout le terrain qui avait été un peu laissé à l’abandon. Ma maman nous a aidé à déballer, à ranger, à nous organiser.

Je n’oublierai jamais cette période d’euphorie. Les amis défilaient, on improvisait des bouffes, des apéros, on avait installé une immense table, on parlait, riait, on avait tous des cernes tellement on était crevés de bosser jour et nuit. Mais peu importe, une nouvelle aventure commençait.

Les murs de cette maison sont depuis 10 ans les témoins de ma vie. Juste un mois après notre installation, je rencontrais Rammy, mon amoureux actuel, qui, petit à petit a fini par faire partie de notre tribu.

Il y a eu des allées et venues, des amis sont repartis au pays, alors que d’autres, fraîchement débarqués de Suisse, venaient s’installer avec nous.

C’était souvent des gars, qui venaient pour un an ou deux, bosser ici, apprendre l’anglais, se faire une expérience à l’étranger. Parfois ils venaient s’établir avec leur amoureuse, parfois seuls, mais il y a eu un va et vient incessant pendant quelques années.

Cette maison a été témoin de nos grandes fêtes, des longues tables dans le jardin en été, des apéros au coin de la cheminée en hiver, de tous nos Thanksgiving, Halloween et Noël.

Elle a assisté à des naissances, des départs, des arrivées, des rires, des cris, des pleurs, des engueulades, des retrouvailles, des deuils, des moments d’euphorie, d’angoisse, de victoire, de bonheur.

Entre ses murs je suis tombée amoureuse, j’ai pleuré la perte de ma maman, de notre compagnon Labrador, j’ai consolé des proches, je me suis faite consoler, j’ai dansé, crié, chanté, lu, j’ai vécu très fort, intensément.

On a accueilli notre Jack Russel et notre Rottweiler, certains d’entre nous on eu des bébés.

On a passé des soirées interminables à griller des marshmallows dans les flammes du gros « fire pit » construit dans le jardin.

Tous ensemble, on a fait respirer ces murs. On les a imprégnés de petits bouts de nous.

Puis ça s’est un peu calmé. Seuls sont restés mon amoureux et moi. Et parfois Nico, parti vivre ailleurs avec sa fille et son amoureuse mais qui a encore une chambre et un peu de bordel dans « la maison ».

Rammy et moi on a continué à la faire vivre au max, entre les bouffes et les amis suisses en vacances, même si ça s’est un peu calmé, ça n’a jamais vraiment cessé de Bouger. Au début de ce mois encore, notre ami Philou est venu passer 2 semaines chez nous.

Tu te demandes pourquoi je te raconte tout ça ? Parce que depuis ce matin, elle est officiellement listée pour la vente et l’agent immobilier est venu planter un gros panneau « For Sale » dans la pelouse.

Parce qu’en 2005, c’était un peu ça l’objectif : y vivre un ans ou deux, la retaper, lui donner de la valeur puis la revendre et faire du profit.

Au final nous y sommes restés 10 ans. Parce que ce n’était jamais le bon moment de la vendre. Le marché n’était pas favorable, ou alors d’autres projets avaient pris le dessus, on a souvent tergiversé, traîné, attendu et finalement, celle qui n’était au départ qu’un petit projet sur 2-3 ans a fini par représenter 10 années de nos vies.

Le moment est maintenant venu. Toutes les conditions favorables sont réunies.

Je sais qu’entre ce matin et le moment où on signera la vente (ça va sans doute se passer d’ici au printemps 2016), tout aura une saveur particulière.

Chaque soirée au coin du feu, chaque son de plancher qui craque, tout sera amplifié comme si mon corps, mon cœur, mon cerveau voulaient, pendant ces quelques mois à venir, s’imprégner à jamais, de toutes les émotions incrustées dans ces vieux murs.

Je sens déjà ma foutue nostalgie qui me nargue. Mais je vais la mater sec, parce que Rammy et moi, même si on aura peut-être la larme à l’œil au jour du grand départ, on a plein d’idées et de projets pour la suite de nos aventures.

Et si tu n’as jamais entendu parler du « Tiny House Movement », reste en ligne, car ces prochains mois, ça risque de venir souvent sur le tapis.

Mais en attendant, viens, je t’emmène faire un petit tour dans mon coin perché tout en haut de Scarborough Bluffs, à Toronto. Voici ma falaise, ma vallée, mon lac, mes parcs et mon quartier à toutes les saisons.

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